Par Sylvaine Luckx le 12/10/2018

Mikko Hippönen, grand gaillard finlandais, est le Chief Research Officer de F-Secure. Nous l’avons rencontré au débotté aux Assises. Echange rapide, mais sans fard.

Nous pensions qu’il allait nous « vendre », comme tant d’autres, l’apport réel ou supposé de l’IA dans les produits F-Secure. Il balaie assez rapidement la question pour se consacrer à l’essentiel. L’importance de la menace, l’évolution du cyberespace, et la vie privée.
« L’IA apporte sans nul doute de grands progrès et nous en incluons dans nos produits, mais il faut bien voir que l’évolution de la menace est perpétuelle, et que les attaquants sont très malins ». Devant une de nos questions, lui demandant si, tout compte fait, les progrès de l’IA ne pouvaient pas servir aux attaquants, qui dresseraient des bases de données d’utilisateurs, avec des profils et en profiteraient pour « individualiser » la menace le plus possible, Mikko Hyppönen reste coi : « C’est dingue que vous posiez une question comme ça ! «, avant de répondre : « oui, le risque existe. Oui, c’est possible, et c’est à nous, éditeurs, de travailler plus vite que les attaquants pour enrayer cette possible stratégie qui serait criminogène ». Notons en France, par exemple, que les mails de « phishing » avec origine présumée impôts, CAF , Sécurité Sociale voire grandes banques sont déjà de plus en plus sophistiqués (logos des organismes, tournure de phrase irréprochable) et ciblés, c’est déjà en partie le cas. L’éternel course entre le gendarme et le voleur a encore de beaux jours devant elle.
Stuxnet : un point de non retour
Il se montre ensuite très disert sur les grandes évolutions et les enjeux éminemment géopolitiques du secteur. Finlandais, issu d’une famille qui s’est battue contre les Russes au cours de la Seconde Guerre, on ne s’étonnera pas que qu’il professe la plus grande méfiance envers les agissements cyber de cet encombrant et gigantesque voisin aux appétits d’ogre et à la taille d’un empire, notamment sur les attaques récentes (NotPetya), voire « l’intox » qui consisterait a faire croire que les Chinois sont à l’origine d’attaques d’ampleur, alors que, selon lui, l’origine et les commanditaires sont nettement plus flous….
Comme c’est impossible à vérifier, nous ne prendrons pas partie, mais cette discussion à bâtons rompus montre à quel point la cyber s’invite dans les enjeux géopolitiques mondiaux. « Sur ce thème, Stuxnet a marqué un point de non retour « explique Mikko Hyppönen.
Vers une « dénucléarisation cyber » ?
Il évoque, et de plus en plus de voies concordantes s’élèvent sur le sujet, la nécessité d’un ordre mondial ou à tout le moins de règles internationales, pour ce nouvel espace de cyber paix, qui est pour lui surtout un espace de cyberguerre. « Il faudrait, comme dans la guerre « classique » des règles d’engagement, et surtout une « désarmement » cyber à terme, ou à tout le moins des règles applicables à tous, comme dans le cadre de l’arme nucléaire ». La question est cruciale… mais pas simple : car elle consisterait à recenser, comme on le fait pour les armes nucléaires, les stocks d’armes Etat par états, et à imposer ensuite une « dénucléarisation cyber » Etat par Etat, avec des contrôles et des inspecteurs internationaux. Or, l’arme nucléaire est une arme physique et étatique. Ce qui n’est pas le cas des armes cyber, dont la localisation physique précise est difficile à faire, et qui transitent entre Etats mafias et groupuscules se vendant au plus offrant… Même si l’idée est séduisante, et réellement importante. Miko Hyppönen soupire : « Dans quelques années, peut-être. Mais un ordre mondial sera à terme nécessaire ».
Vers un ordre mondial de la cyber ?
Il reprend cette conviction sur la vie privée. Se souvenant avoir déclaré un jour « je pense que Georges Orwell a eu une vision optimiste sur l’évolution de notre société », il n’hésite pas à enfoncer le clou. Nous donnons la phrase en anglais, car elle est infiniment plus percutante.
« Privacy is dead ». (La protection de la vie privée est morte).
Ce qui ne l’empêche pas de penser que la règle de l’intérêt général prévaudra un jour sur les intérêts particuliers, et que, là aussi, un ordre mondial naîtra.
On peut toujours rêver. Mais, de tous temps, les rêves ne font-ils pas avancer le monde ?